Le constat est unanime : l’impôt sur le revenu (IR) est devenu illisible. Il fait l’objet de nombreuses critiques et les récentes réformes du système fiscal global, dont la « flat tax » de 12,8 % sur les revenus financiers (30 % en incluant la Contribution Sociale Généralisée – CSG et la Contribution au remboursement de la dette sociale – CRDS), ont de plus fortement affaibli sa progressivité. Cela induit des effets négatifs sur le consentement à l’impôt et nuit à son efficacité. Benoît Tarroux a montré ainsi que les individus attachent une grande importance à la progressivité de l’impôt, et ce même si son barème ne mène pas nécessairement à une distribution des richesses la plus juste possible a posteriori [1]. Paradoxalement, depuis de nombreuses années, la CSG, qui est un prélèvement proportionnel, rapporte plus à l’État que l’impôt sur le revenu : 100 milliards d’euros contre 77 milliards en 2017 [2]. Pour les salariés, CSG plus CRDS représentent un prélèvement de 9,7 % sur le revenu brut, soit environ 10,2 % sur le revenu net imposable, et ce sans aucune progressivité à part une très légère augmentation d’assiette au-delà de 175 968 € de revenu annuel [3].
Pourtant, les enjeux de la lutte contre le réchauffement climatique nécessiteront une bien meilleure redistribution entre les hauts revenus et les bas revenus, afin d’amortir pour ces derniers le renchérissement du coût du carbone, qui reste plus que jamais nécessaire pour inciter forcement à la décarbonation des foyers et de l’économie. Le mécanisme actuel des tranches d’imposition IR basées sur un taux marginal [4] ne permet pas à chacun de se positionner clairement, et rend le système opaque et surtout inefficace à très haut revenu. Ce point avait été particulièrement noté par Thomas Piketty [5]. De plus, la progressivité du système actuel de tranches d’imposition est obtenue par des sauts brutaux du taux marginal d’imposition (l’impôt supplémentaire pour un euro de revenu en plus), même si le taux moyen d’imposition d’un contribuable reste une fonction continue de son revenu total. Pour être clair, rappelons que le taux marginal d’imposition est le montant supplémentaire d’impôt payé pour un euro additionnel de revenu. Par exemple, un foyer dans la tranche de taux marginal de 11 % paie 11 centimes d’impôts de plus pour 1 euro supplémentaire de revenu. Le taux moyen d’imposition est par contre calculé sur le revenu total, et est en fait connu de presque tous les foyers à travers le prélèvement à la source : ainsi, pour un taux moyen d’imposition de 5,1 %, 2 000 euros de revenus seront imposés pour un montant de 102 euros (chiffres uniquement donnés à titre d’exemple). La nécessité de clarifier la différence entre taux marginal et taux moyen se traduira d’ailleurs dès 2023 avec la mention de ces deux valeurs de taux sur les avis d’imposition [6].
Un autre défaut du système de tranches de taux marginal est qu’il n’est pas « efficace » sur les très hauts revenus, dont le taux moyen d’imposition ne s’approche que « lentement », lorsque le revenu augmente, du taux marginal d’imposition de la tranche supérieure. Plusieurs contributions au grand débat national de 2019 ont proposé un impôt « exponentiel », mais sans expliquer concrètement comment cela pourrait s’appliquer de façon réaliste.
Par ailleurs, la CSG, disposant d’une assiette plus large, rapporte plus à l’État que l’impôt sur le revenu, ce qui plaide pour une fusion de l’IR et de la CSG [2], ou tout du moins pour un barème global de calcul des prélèvements. Un prélèvement fusionné de l’IR, de la CSG et de la CRDS – ou plus simplement l’application d’un barème global IR plus CSGRDS prenant ensuite en compte, comme des crédits d’impôts, les montants de CSG et CRDS déjà prélevés par ailleurs – permettrait d’harmoniser les assiettes de tous ces prélèvements et surtout de rétablir une progressivité demandée par les citoyens [1].
Cette contribution propose une formulation concrète, simple et transparente qui va dans le sens d’une efficacité accrue de l’impôt à très hauts revenus, tout en étant réaliste et pouvant être mise en œuvre facilement grâce au prélèvement à la source mis en place depuis le début de l’année 2019. Le prélèvement à la source faciliterait d’ailleurs grandement l’acceptation de ce nouveau barème d’imposition détaillé plus loin, car celui-ci reposera sur le calcul direct du taux moyen d’imposition (correspondant au taux de prélèvement mensuel à la source, communiqué aux foyers fiscaux dans leurs avis d’imposition), et non plus sur le taux marginal d’imposition. Thomas Piketty avait déjà proposé en 2011 le principe d’un calcul direct du taux moyen d’imposition [5], en prenant pour ce taux moyen une fonction linéaire par morceaux déterminée par 12 paramètres indépendants (6 valeurs de taux moyens pour respectivement 6 valeurs de revenus). Cette fonction linéaire par morceaux pour le taux moyen d’imposition a cependant pour inconvénient de mener à des sauts (en plus ou en moins) du taux marginal d’imposition autour des seuils de revenus des différentes tranches, ce qui peut être considéré comme inéquitable. A l’inverse, le barème d’imposition proposé ici ne présente pas de ruptures de pentes et ne dépend que de 2 paramètres, l’un étant le taux moyen d’imposition maximum pour les revenus très élevés, et l’autre déterminant la pression fiscale sur la majorité des revenus.
Enfin, ce barème d’imposition proposé a toutes les bonnes propriétés attendues de l’impôt sur le revenu, fusionné le cas échéant avec CSG et CRDS : progressivité, équité, transparence, et efficacité. La progressivité garantit que le taux moyen de prélèvement augmente lorsque le revenu augmente. L’équité garantit que ce taux moyen est le même à revenus identiques, et que l’augmentation de ce taux moyen en fonction du revenu est régulière et ne présente pas les à-coups d’un système basé sur des tranches et seuils de revenus. La formulation proposée ne présente plus aucun « effet de seuil » de revenu, ni sur le taux moyen de prélèvement, ni sur le taux marginal, qui sont tous les deux des fonctions continues et sans ruptures de pentes. La transparence est garantie par la donnée de deux paramètres interprétables par tous (et seulement deux), dont les valeurs doivent être débattues et qui ont un sens politique fort en termes de justice fiscale et d’ajustement de la pression fiscale. L’efficacité quant à elle est garantie par l’expression mathématique du barème proposé, faisant appel à la fonction exponentielle, et plus spécifiquement à une fonction qui modélise le fonctionnement de nombreux systèmes physiques, mécaniques ou électriques. Ainsi, les très hauts revenus ont un taux moyen de prélèvement qui s’approche très vite du taux maximum lorsque le revenu augmente.